Les portraits officiels des présidents français.
Dès que la technologie a permis la reproduction multiple des images (en fait depuis l'invention du négatif vers 1840 par Talbot) la coutume a été prise de réaliser en début du mandat présidentiel une photo dite "officielle" qui est ensuite affichée dans toutes les mairies de France et dans certains autres lieux publics. Adolphe Thiers est le premier président a avoir pu bénéficier de cette technique de reproduction des images, bien sûr en noir et blanc à l'époque.
Ces portraits présidentiels officiels ont été réalisés par des photographes connus et qui se sont mis à l'écoute, soit de la personnalité du président à photographier, soit des directives de son service de communication. Il est intéressant d'analyser ces portraits en les replaçant dans leur contexte et en considérant que chacune des photos répond exactement aux attentes du commanditaire. En effet, quand on s'appelle l'Elysée, on a les moyens de faire refaire une photo qui ne serait pas exactement celle attendue.
Il est amusant de constater que la pose de Adolphe Thiers, en 1871 (la main posée sur un livre symbolisant la constitution) se retrouve régulièrement dans les portrait présidentiels qui ont suivi : Armand Fallières en 1906, Raymond Poincaré en 1913 (mais sans le livre), Alexandre Millerand en 1920, Gaston Doumergue en 1924, Paul Doumer en 1931, Albert Lebrun en 1932 et, plus récemment Charles de Gaulle (1959) et Georges Pompidou (1969).
Les symboles récurrents n'ont commencé à changer que très récemment, en 1974 avec Valéry Giscard D'Estaing. Auparavant on retrouvait souvent le livre posé sur la table (la constitution), une bibliothèque en fond (le savoir), la médaille de la légion d'honneur ou autres décorations.
Valéry Giscard D'Estaing a également amené une rupture dans la posture : on quitte l'attitude hautaine pour un visage souriant et un regard direct. Par ailleurs on voit apparaître pour la première fois un drapeau français. Cela se justifie peut-être par le fait que les photos présidentielles ont été pendant longtemps en noir et blanc : le bleu-blanc-rouge en noir et blanc, ça ne rend pas pareil. Depuis le drapeau français est toujours présent dans les photos officielles, sauf avec Miterrand qui a préféré un retour devant la bibliothèque.
La tenue vestimentaire a également changé avec Giscard d'Estaing : il est habillé d'un costume-cravate dépouillé de tout attribut présidentiel et de toute décoration. C'est le costume de quelqu'un que l'on pourrait rencontrer dans la rue. Cette nouveauté sera reprise par la suite par tous ses successeurs.
Ce portrait de Giscard D'Estaing marque donc le début des photos officielles réfléchies et construites en vue de faire passer un message particulier. On peut facilement imaginer un cahier des charges, remis au photographe, et conçu par le service communication de l'Elysée.
Il est alors intéressant d'analyser ces images pour déterminer quel message on a voulu faire passer ou quelle impression on a souhaité rendre. Les premiers éléments à considérer peuvent être :
La distance.
Lorsque le président est représenté en entier ou en portrait américain (coupé à mi-cuisses) cela met une distance entre le spectateur et la personne présidentielle.
A l'inverse un portrait tête-épaules marque un rapprochement, indique que la personne n'est pas inaccessible.La contre-plongée.
Ce terme s'emploie lorsque le point de vue (l'appareil photo) est relativement bas par rapport au sujet.
La contre-plongée est utilisée pour grandir la personne photographiée, la rendre plus majestueuse. Elle donne l'impression que le spectateur est inférieur à la personne sur la photo.
La posture du président, le regard.
L'attitude est-elle hautaine ou accueillante ? Le regard est il dirigé vers le spectateur ou au contraire ailleurs ? Autant d'éléments qui influencent énormément l'impression donnée par la personne du président.
Les drapeaux.
Les drapeaux sont des symboles forts et immédiatement identifiables. Dans le cas qui nous intéresse il peut s'agir du drapeau français et/ou du drapeau européen. La présence ou l'absence de ces éléments, leurs dimensions, mais également leur position par rapport à la personne du président (sur le même plan, en arrière) est significative.
Autres éléments symboliques.
Le décor pend de plus en plus d'importance : avant 1950, les présidents étaient souvent photographiés devant un fond neutre (il y a cependant quelques exceptions). Après 1950 le lieu où la photo est faite est choisi avec soin : bibliothèque, jardins, bureau, etc.
Les objets ou meubles visibles dans le décor ont eux aussi une signification. Leur présence n'est pas le fruit du hasard.
Louis-Napoléon Bonaparte
En exercice de 1848 à 1852
Deuxième république
Adolphe Thiers
En exercice de 1871 à 1873
Troisième république
Patrice de Mac-Mahon
En exercice de 1873 à 1879
Troisième république
Jules Grévy
En exercice de 1879 à 1887
Troisième république
Marie-François Sadi Carnot
En exercice de 1887 à 1894
Troisième république
Jean Casimir-Périer
En exercice de 1894 à 1895
Troisième république
Félix Faure
En exercice de 1895 à 1899
Troisième république
Émile Loubet
En exercice de 1899 à 1906
Troisième république
Armand Fallières
En exercice de 1906 à 1913
Troisième république
Raymond Poincaré
En exercice de 1913 à 1920
Troisième république"
Paul Deschanel
En exercice de 1920 à 1920
Troisième république
Alexandre Millerand
En exercice de 1920 à 1924
Troisième république
Gaston Doumergue
En exercice de 1924 à 1931
Troisième république
Paul Doumer
En exercice de 1931 à 1932
Troisième république
Albert Lebrun
En exercice de 1932 à 1940
Troisième république
Vincent Auriol
En exercice de 1947 à 1953
Quatrième république
René Coty
En exercice de 1953 à 1959
Quatrième république
Charles de Gaulle.
Charles de Gaulle - En exercice de 1959 à 1969 - Cinquième république.
Photographe : Jean-Marie Marcel.
Très hautain, photographié en plan américain (coupé mi-cuisses) et en légère contre-plongée, le général a adopté la pose de nombreux de ses prédécesseurs : debout, la main droite posée sur un livre. Les épaulettes et les décorations donnent un coté militaire à la tenue vestimentaire.
La construction de cette image place le président clairement au dessus du simple citoyen.
Pour la première fois, la photo est en couleurs (la technologie évolue).
Georges Pompidou.
Georges Pompidou - En exercice de 1969 à 1974 - Cinquième république.
Photographe : François Pages.
Quasiment la même photo que celle de son prédécesseur : même pose, même cadrage. Seule petite différence : le regard, qui est ici dirigé vers la gauche.
Valéry Giscard d'Estaing (1974-1981).
Valéry Giscard d'Estaing - En exercice de 1974 à 1981
Cinquième république.
Photographe : Jacques-Henri Lartigue.
Une rupture totale avec les portraits présidentiels précédents. Les codes et les symboles ont été changés, la volonté n'est pas la même : il faut maintenant se montrer proche des français, abolir les distances et le coté hautain de la fonction.
- C'est un portrait tête-épaules, ce qui suggère une certain proximité entre le spectateur et le président.
- Le décor est un drapeau français agité par le vent. Cela apporte de la couleur et du dynamisme dans l'image.
- Le costume est simple et dépourvu des attributs présidentiels (décoration, légion d'honneur, etc). C'est le costume de quelqu'un que l'on pourrait croiser dans sa rue.
- La posture est avenante : fini les contre-plongées de ses prédécesseurs. Le visage est souriant et le regard est dirigé vers le spectateur. Autant de détails qui suggèrent un président proche des français. Le regard dans l'objectif sera repris par tous ses successeurs jusqu'à aujourd'hui.
- La photo est orientée horizontalement.
François Mitterrand.
François Mitterrand - En exercice de 1981 à 1995 - Cinquième république.
Photographe : Gisèle Freund.
La bibliothèque est revenue mais pour suggérer plus la culture que le savoir. Le président d'ailleurs est en train de lire un livre (il parait que ce sont "Les essais" de Montaigne mais je ne crois pas que cela se voit sur l'image). Ce sera la seule photo présidentielle où le président est assis.
Le choix du photographe n'est pas innocent non plus : Gisèle Freund a réalisé les portraits de très nombreux écrivains célèbres : Jean-Paul Sartre, André Malraux, Marguerite Yourcenar, Samuel Beckett, etc.
Jacques Chirac (1995-2007).
Jacques Chirac - En exercice de 1995 à 2007 - Cinquième république.
Photographe : Bettina Rheims.
Première photo officielle réalisée en extérieur, dans les jardins de l'Élysée. La pose est décontractée, le décor ensoleillé et agréable, Jacques Chirac se montre ainsi proche des français.
Le drapeau français est discret mais il est là.
Nicolas Sarkozy (2007-2012).
Nicolas Sarkozy - En exercice de 2007 à 2012 - Cinquième république.
Photographe : Philippe Warrin.
De nouveau devant la bibliothèque du grand palais, mais la table, naturelle en cet endroit, a été remplacée par deux drapeaux, qui paraissent un peu artificiels à cet endroit. Les drapeaux, un français et un européen, sont grands et occupent même plus de place dans l'image que la silhouette du président, ce qui est assez curieux. Dans la photo de Giscard d'Estaing le drapeau était également omniprésent mais il était en fond, en arrière-plan, alors que dans cette photo il est sur le même plan que le président.
C'est la première fois que l'Europe s'invite dans les photos officielles des présidents français.
Adepte de la communication "people", Sarkozy a choisi Philippe Warrin, un photographe connu dans le monde du showbiz (Le Loft, la Star Académie). Les retouches informatiques, courantes dans les photos "people" sont visibles ici : couleur peu naturelle du bois de la bibliothèque, vignettage très prononcé, redressement exagéré des verticales allant même jusqu'à la sur-correction.
François Hollande (2012-2017).
François Hollande - En exercice de 2012 à 2017 - Cinquième république.
Photographe : Raymond Depardon.
En extérieur et en plein soleil, comme Jacques Chirac, mais la pose suggère davantage une photo prise sur le vif (on sait que ce n'est pas le cas bien sûr).
Les drapeaux français et européens sont toujours là.
Le format carré est une nouveauté, peut-être suggérée par Raymond Depardon.
Pour en savoir plus.
-
Le making-of de la photo officielle de François Hollande, sur le site du Monde.
- Le journal Libération publie les commentaires de nombreux portraitistes professionnels à propos de la photo de François Hollande.
Emmanuel Macron.
Emmanuel Macron - En exercice depuis 2017 - Cinquième république.
Photographe : Soizig de la Moissonière.
La photo est parfaitement symétrique, et le président en occupe la position centrale, ce qui est la place que les peintres réservaient au monarque dans la tradition picturale.
Le président est debout, adossé contre son bureau, et le regard dirigé droit sur le spectateur. L'attitude se veut accueillante, mais suggère également le travail et la volonté d'aboutir quelles que soient les difficultés. En arrière-plan, une fenêtre est ouverte sur les jardins de l'Élysée.
Divers objets ont été disposés sur le bureau, chacun avec sa signification particulière :
- Des smartphones, symboles de modernisme.
- Des livres : "Mémoire de guerre" du générale De Gaulle, "Le rouge et le noir" de Standhal, et "Les nourritures terrestres" de André Gide.
- Une horloge, symbolisant la volonté du président de rester maître du calendrier.
Les drapeaux français et européens entourent le président et sont eux-même disposés de façon symétrique. La partie gauche d'une photo est généralement associée au passé, tandis que la partie droite représente l'avenir. Ce qui donne à l'emplacement des drapeaux une signification très claire dans l'esprit du président.
Voir aussi :
- Une vidéo montrant la préparation de la prise de vue pour le portrait officiel. On voit le président disposant lui-même les objets sur son bureau. Gardons à l'esprit que cette vidéo est peut-être une mise en scène.
Si vous avez aimé cette page, n'hésitez pas à la partager sur votre réseau préféré :